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Les retraites spirituelles du Prophète (saws) avant la révélation |
La famille de Muhammad était en général idolâtre, comme les Mecquois moyens, et elle détenait même quelques fonctions
cultuelles publiques, telles qu'approvisionner les pèlerins en eau sacrée de Zamzam, etc. Depuis la reconstruction de la Ka'bah, on
remarqua chez Muhammad un réveil de la conscience spirituelle. Déjà son grand-père, 'Abd al-Muttalib, se retirait dans la caverne
de Hirâ' pendant le mois de Ramadân. A son tour Muhammad fut lui aussi attiré par cette vie, et y trouva un moyen de calmer son
esprit.
Chaque année, il passait tout le mois de Ramadân dans cette même grotte, dans la banlieue de la Mecque, en méditation et en vie ascétique. De temps en temps, sa femme lui envoyait des provisions ; parfois il rentrait lui-même chercher ce qui lui manquait. Il y eut voyageurs égarés, avec lesquels Muhammad partagea ses maigres provisions. Quand il rentrait de cette retraite, il se rendait d'abord à la Ka'bah, pour y faire les 7 tours rituels, avant de revenir chez lui. Il est bizarre de lire dans ce texte d'Ibn Hichâm et de Maqrîz" qu'il faisait cette retraite pieuse en compagnie de sa femme Khadîjah. Elle devait normalement venir le voir de temps en temps pour apporter de nouvelles provisions. Toutefois elle n'était pas là la nuit de la première révélation : elle était alors chez elle à la Mecque. Cette caverne se trouve sur le haut de Hirâ', qui se trouve au sommet du Mont Nûr (littéralement : Lumière). Situé à un kilomètre à peine de l'emplacement de la maison de Muhammad, le Mont Nûr présente un aspect très singulier ; on l'aperçoit d'ailleurs de très loin parmi les nombreuses montagnes qui l'entourent. La caverne de Hirâ' est construite avec des rochers éboulés et entassés, qui en forment trois côtés ainsi que la voûte. Elle est assez haute pour permettre à un homme de rester debout, sans que sa tête touche la voûte ; et elle est assez allongée pour qu'il puisse s'y coucher. Par un curieux hasard, l'allongement de cette cavité se dirige vers la Ka'bah. Au sol, le roc est assez plat, et on peut y étendre des draps pour y faire une couchette. L'entrée est constituée par une petite ouverture placée assez haut, ce qui oblige à monter plusieurs marches, faites de rochers, avant d'y pénétrer. On ne sait pas pourquoi on a appelé ce sommet le Mont Lumière. Il est près de la route qui va de la Mecque à l'esplanade de Minà, où les pèlerins de la Mecque vont passer plusieurs jours. Il se pouvait qu'on allumât du feu sur cette montagne, pour servir de guide aux égarés dans la nuit, pratique assez répandue à cette époque dans la région. Puisqu'on allumait un feu sur une colline de Muzdalifah, comme nous le savons, il n'y a pas de raison pour qu'elle eût été la seule entre `Arafât et la Mecque, car les pèlerins qui venaient des quatre coins de la Péninsule devaient passer là. On ne sait pas grand' chose sur l'évolution de la pensée religieuse de Muhammad durant ces retraites. Comme il s'y rendait chaque année, il faut croire qu'il y trouvait une consolation spirituelle. Les biographes disent que Muhammad commença à avoir « des rêves clairs comme l'aube » : tout ce qu'il voyait dans le sommeil, il en trouvait la signification ou la réalisation dans les faits des jours suivants. Puis il entendait quelquefois une voix étrange : il tournait la tête de côté et d'autre, et ne trouvant personne, s'étonnait et s'effrayait. La voix de l'invisible devint ensuite plus fréquente, et elle prit un sens : on dit que Muhammad entendait quelquefois une voix venant des rochers ou des arbres, qui le saluait en l'appelant par son nom'. Il avait atteint l'âge mûr, et six mois avant le Ramadân dont nous allons parler, il avait célébré son 40° anniversaire. Le mois de Ramadân arriva, et apparemment pour la cinquième fois, il se rendit dans la solitude, à la caverne de Hirâ'. Plusieurs semaines passèrent sans incident ; puis, la nuit qui précéda le 27e jour de ce mois, il eut une étrange vision ; un être de lumière lui adressa la parole. En voici le récit de sa propre bouche : Il m'apprit qu'il était l'ange Gabriel, que Dieu l'avait envoyé pour m'annoncer qu'Il m'avait choisi pour Son messager. L'ange m'apprit à faire mes ablutions, et lorsque je revins purifié dans le corps, il me demanda de lire. Moi de répondre Je ne sais pas lire. Il me prit dans ses bras et me serra très fort, et me.laissant ensuite, il me demanda encore une fois de lire. Je lui dis : mais je ne sais pas lire. Il me serra de nouveau et plus fort, puis me demanda de lire, et je répondis que je ne savais pas lire. Il me prit dans ses bras la troisième fois, et m'ayant serré plus fortement que jamais, il me relâcha et dit « Lis par le nom de ton Seigneur qui a créé, qui a créé l'homme d'un caillot de sang. Lis ! Car ton Seigneur, le Très Noble, c'est Lui qui a enseigné par la plume. Il a enseigné à l'homme ce qu'il ne savait pas »I. Puis l'ange partit. On ne sait pas exactement la suite des événements. Il paraît qu'un autre jour, Muhammad eut une vision plus étrange et plus effrayante encore : il vit l'ange assis dans le vide de l'atmosphère. Stupéfait, il ne put plus bouger, jusqu'à ce que les agents envoyés par sa femme vinssent le chercher pour l'emmener à la maison. On raconte aussi qu'une fois le Prophète rentra tremblant chez lui, et s'enveloppa d'une couverture avant de se calmer ; il se peut qu'il s'agisse là du même incident. Les versets du Qur'ân2 où se trouve la formule : « Eh, toi en couverture », se réfèrent à cet événement, même s'ils ont été révélés à une époque postérieure. Lors de la première révélation, cette inspiration divine par l'intermédiaire d'un ange, il n'y avait personne pour en témoigner, mais plus tard, quand les mêmes faits se répétèrent, il y eut des témoins, car pendant les 23 ans qui suivirent un nombre plus ou moins grand de ses fidèles purent parfois l'observer. La façon dont la révélation se faisait est décrite par le Prophète lui-même et par ses Compagnons, témoins oculaires. Ainsi le Prophète dit : « Parfois elle me vient comme le son de la cloche battant -et c'est là la plus dure- puis cela cesse, cependant que je retiens tout ce qui a été dit, bien gravé dans ma mémoire. D'autres fois l'ange m'apparaît sous la forme d'un homme pour me parler, et je retiens bien ce qu'il dit » (Bukhârî, 1/2). Dans la version d'Ibn Hanbal (2/222), le Prophète entendait d'abord comme si on battait le métal ; à ce moment il s'apprêtait en faisant attention, à recevoir le message qui allait être communiqué ; « A quelque occasion que m'arrive la révélation, il n'y en a pas une où je ne pense que mon âme va quitter mon corps ». Ses compagnons témoignent à leur tour de leurs propres observations : « Quand la révélation lui venait, une sorte de repos (immobilisme) le saisissait » (Ibn Hanbal 6/103). « Quand la révélation lui venait, il restait assommé un moment comme s'il était intoxiqué ou hypnotisé » (Ibn Sa'd, I/i, p. 131). Ou : « Si la révélation lui venait même un jour de très grand froid, on le voyait ensuite transpirer du front abondamment » (Bukhârî, 1 /2). Ou : « Un jour que la (révélation) était sur le point d'arriver, il rentra sa tête (dans son manteau) ?) et voilà que le visage du Prophète était devenu rouge et il ronflait ; puis cet état s'en alla » (Bukhârî, 25/17, 26/10). Un jour un nouveau converti (Ya'là ibn Umaiyah, selon Samhûdî), était curieux de voir le Prophète au moment où il recevait la révélation. 'Umar lui fait signe de s'approcher, soulève un peu le voile dont le Prophète s'était couvert ce jour-là, et cet homme voit que « le visage du Prophète était congestionné et il gémissait » (Bukhârî, 64/56, N° 5). Ou : « Quand la révélation lui venait nous entendions près de lui un bourdonnement comme le bourdonnement des abeilles » (Ibn Hanbal 1/34 ; Tirmidhî, ch. Tafsîr, sourate, 23/1). Ou : « Le Prophète éprouvait une dureté tuante, lors de la révélation » (Ibn Hanbal, 1/464). Ou : « ... il éprouvait une dureté et remuait ses lèvres » (Bukhârî, 97/3). Ou : « il remuait sa tête comme s'il essayait de comprendre » (Ibn Hanbal, 1/318). Une autre série de récits nous apprend qu'il pesait alors très lourd. Ainsi l'un rapporte : « J'ai vu la révélation lui venir alors qu'il était sur sa chamelle et celle-ci mugissait et se tordait les jambes de sorte que je craignais qu'elles ne se rompent. Parfois elle s'asseyait, et parfois elle restait debout, les jambes fichées comme les pieux, jursqu'à la cessation de cet état, et cela à cause du poids de la révélation ; et alors la transpiration lui traînait en perles » (Ibn Sa'd, I/i, p. 131, 132). Ou : « Son poids rompait presque les jambes de sa chamelle » (Ibn Hanbal, VI, 455, 4'58). Ou : « La chamelle s'agitait tellement fort que parfois le Prophète préférait descendre par terre » (Ibn Hanbal, 2/176, 6/455, 6/458). Pareil récit quand il était monté sur un cheval (Tabar"i, Tafsîr 26/39). Zaid ibn Thâbit raconte de la façon suivante. son expérience personnelle : « Lors d'une journée d'affluence, où tout le monde était assis par terre quand une révélation commença, son genou se trouva sur ma cuisse et pesait si lourd que je craignais que mon fémur ne se rompe » (Bukhârî, 8/12, 56/31, 65/4/18 bis N° 1 ; Ibn Hanbal 5/184). Dans une autre version, il y a cette addition : « S'il ne s'était pas agi du Prophète de Dieu, j'aurais poussé un cri et retiré ma jambe ». D'autres récits disent : « La révélation lui est venu un jour quand il était debout sur la chaire de prédication (minbar) de la mosquée, et il resta immobile jusqu'à la cessation de la communication céleste » (Ibn Hanbal, 3/21). Ou : « Il tenait un jour un morceau de viande (d'os) dans sa main (lors du repas), quand une révélation vint à lui ; et quand elle prit fin, le morceau était toujours en sa main » (Ibn Hanbal, 6/56). A de telles occasions, le Prophète s'étendait parfois sur le dos, quelquefois son entourage lui couvrait même respectueusement le visage d'une pièce de tissu, selon les circonstances. Mais jamais il ne perdait conscience ni le contrôle de soi, encore moins s'agitait il. Dans les premiers temps de sa mission, il avait l'habitude de répéter à haute voix ce qu'il entendait, au cours même de la révélation, mais dès avant l'Hégire de Médine, à la Mecque, il abandonna cette habitude et se tint tranquille, silencieux jusqu'à ce que la révélation prît fin, et c'est alors qu'il communiquait le message divin à son entourage et le dictait à ses secrétaires (comme l'atteste le Coran, 75/16) : « N'en remue pas pour autant ta langue avec ceci, comme pour te hâter ». Et encore (20/ 114) : « ... ne te hâte pas avec cette Lecture avant que soit achevée pour toi sa révélation, et dis : O mon Seigneur, fais moi croître en science ». Revenant à l'état normal, il appelait un de ses compagnons lettrés, pour lui dicter la nouvelle révélation, et prescrivait la place exacte qu'elle devait prendre dans l'ensemble, afin de la publier dans la communauté en multipliant les copies. Dans son al-Mab `ath wa'I-maghâzî (§ 192, éd. Rabat, 1976, sur la base du MS de Qarawîyîn), Ibn Is'hâq dit : « toutes les fois qu'un fragment du Coran était révélé, le Prophète le récitait d'abord dans l'assemblée des hommes, puis dans l'assemblée des femmes ». (On voit que l'éducation des femmes lui était très chère). Nous reviendrons sur la codification du texte coranique par le Prophète. Les sources (comme Tabarânî (cité par Haithamî, Majma` az-zawâ'id, I, 150, VII, 257, au sujet de Zaid b. Thâbit ; signalé aussi par Ghulâm Rabbâni, Tadwîn-é-Hadîth, p. 228, en urdu) précisent que toutes les fois qu'il dictait, le Prophète demandait au scribe de lui lire ce qu'il avait noté, pour pouvoir corriger les déficiences s'il y en avait. Au dire de Muhammad lui-même, l'archange lui apparaissait sous des formes différentes selon les occasions : quelque fois comme un homme, quelquefois comme un être volant avec des ailes, et quelquefois sous d'autres formes étranges. La question de forme ne doit pas nous attarder ; nous devons nous occuper du fond, du message que Muhammad communiqua. Avec l'an 40 de sa naissance (609 ap. J.-C.), se clôt la première période de la vie de Muhammad, sa vie privée, et commence sa vie publique, sa mission. |
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